Certains réveils, on
m’arrache à une profondeur.
Une lueur jaunit
au travers du rideau tendu devant la fenêtre. Il a plu cette nuit. L’odeur de
la décomposition s’est soulevée du sol, sûrement très tôt, bien que je ne la
sente qu’à cet instant remplir la chambre. Voilà les vers, dont certains
sont morts noyés dans leurs souterrains. Voilà leurs parfums.
Essa ? je dis en l’air.
Pas de réponse, il
ne doit pas être ici. Je sais qu’il a fumé avant de partir. Les fleurs bleues
dans le vase au chevet du lit sentent le tabac. La cendre est déposée en pellicule
sur les pétales. J’essaie de me souvenir d'hier. Quel mal de crâne. Je me lève.
Le clocher du temple sonne comme les cris d’une envolée d’oiseau. J’écarte le
rideau. Le clocher s’élève au-dessus du récif urbain. Le soleil est déjà haut.
Ma montre donne
onze heures.
Et merde. Trop
dormi.
Une tasse de café
mi vide traîne sur la table. Le café est froid. Ça fait un moment qu'Essa est
parti. Je remplis le filtre à café de mouture et verse de l’eau pour quelques
tasses. En m’apprêtant à m’asseoir on cogne à la porte.
Y’a
quelqu’un ? C’est la police. Monsieur ? Il faudrait m’ouvrir, j'entends de
l’autre côté du huis. Il faudrait m'ouvrir ou on rentrera.
Heu… Oui ? je dis confus, cherchant quelqu’un chose à enfiler. Laissez-moi... laissez-moi deux minutes, le
temps de m’habiller.
Dans la salle de
bain, une pile de linge humide comme un amas d’algues traîne devant la machine
à laver. Je prends une chemise, au hasard, que porte souvent Essa et un de ses
pantalons. Je l'enfile sans sous-vêtement. À nouveau, on cogne avec
insistance.
Monsieur, ça va
là ?
J’arrive, un instant,
je réponds.
Je détache le
loquet et ouvre la porte. Deux hommes me regardent silencieusement. Celui
derrière à de longs cheveux bouclés qui frôlent ses épaules.
Il porte une paire de lunettes fumées. Il a un petit nez et une longue bouche
avec des lèvres étroites. Son visage est terne. Affaissé. L’autre est plus
costaud, avec des cheveux d'un gris affirmé, peignés et graissés sous un
chapeau en feutre brun. Il porte un costard du même brun, déchiré à l’épaule.
Bon- b- onjour
messieurs. Je peux faire quelque chose pour vous ?
Les policiers ont
leurs badges, scintillants comme des étoiles au bout de leurs doigts. Ils
rabaissent et rangent leurs identifications
Vous êtes Essa Massaca ?
me
demande le policier costaud.
Non, c'est moi. C’est Simon.
Simon ?
Oui, c’est ça.
Vous avez un nom
de famille ?
Oui.
Vous pouvez me le
donner ?
Certainement.
Simon Rochel.
Rochel ?
Oui.
On peut savoir
quand vous avez vu monsieur Massaca pour la dernière fois ?
C’était hier, hier
soir.
Vous habitez la
même chambre ?
Oui.
Le policier
costaud se retourne vers son collègue, demeuré silencieux depuis leur
arrivée, qui s'avance et lui chuchote dans l'oreille.
Ça pose
problème ? je demande. Au fait, il… vous cherchez Essa pour quelle raison ? J’aimerais bien savoir pourquoi on vient me
déranger si tôt.
C’est pas de votre affaire. On a d'autre truc à vous demander, ça sera un peu long.
Bon, j’ai rien dit
alors. Vous voulez du café ? J’en ai tout juste sortant de la machine.
Vous voulez du bon café, messieurs ? Oui ? Entrez.
Je leur souris
et les policiers referment doucement la porte derrière eux. Dans le corridor,
rien ne bouge. À moins que l’on entend peut-être un seul craquement, comme un pas sur le
bois franc qui aurait été posé avec la plus grande, bien qu’insuffisante,
discrétion.
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