22 April 2015

I.

Certains réveils, on m’arrache à une profondeur.
Une lueur jaunit au travers du rideau tendu devant la fenêtre. Il a plu cette nuit. L’odeur de la décomposition s’est soulevée du sol, sûrement très tôt, bien que je ne la sente qu’à cet instant remplir  la chambre. Voilà les vers, dont certains sont morts noyés dans leurs souterrains. Voilà leurs parfums.
Essa ? je dis en l’air.
Pas de réponse, il ne doit pas être ici. Je sais qu’il a fumé avant de partir. Les fleurs bleues dans le vase au chevet du lit sentent le tabac. La cendre est déposée en pellicule sur les pétales. J’essaie de me souvenir d'hier. Quel mal de crâne. Je me lève. Le clocher du temple sonne comme les cris d’une envolée d’oiseau. J’écarte le rideau. Le clocher s’élève au-dessus du récif urbain. Le soleil est déjà haut.
Ma montre donne onze heures.
Et merde. Trop dormi.

Une tasse de café mi vide traîne sur la table. Le café est froid. Ça fait un moment qu'Essa est parti. Je remplis le filtre à café de mouture et verse de l’eau pour quelques tasses. En m’apprêtant à m’asseoir on cogne à la porte.
Y’a quelqu’un ? C’est la police. Monsieur ? Il faudrait m’ouvrir, j'entends de l’autre côté du huis. Il faudrait m'ouvrir ou on rentrera.
Heu… Oui ? je dis confus, cherchant quelqu’un chose à enfiler. Laissez-moi... laissez-moi deux minutes, le temps de m’habiller.
Dans la salle de bain, une pile de linge humide comme un amas d’algues traîne devant la machine à laver. Je prends une chemise, au hasard, que porte souvent Essa et un de ses pantalons. Je l'enfile sans sous-vêtement. À nouveau, on cogne avec insistance.
Monsieur, ça va là ?
J’arrive, un instant, je réponds.
Je détache le loquet et ouvre la porte. Deux hommes me regardent silencieusement. Celui derrière à de longs cheveux bouclés qui frôlent ses épaules. Il porte une paire de lunettes fumées. Il a un petit nez et une longue bouche avec des lèvres étroites. Son visage est terne. Affaissé. L’autre est plus costaud, avec des cheveux d'un gris affirmé, peignés et graissés sous un chapeau en feutre brun. Il porte un costard du même brun, déchiré à l’épaule.
Bon- b- onjour messieurs. Je peux faire quelque chose pour vous ?
Les policiers ont leurs badges, scintillants comme des étoiles au bout de leurs doigts. Ils rabaissent et rangent leurs identifications
Vous êtes Essa Massaca ? me demande le policier costaud.

Non, c'est moi. C’est Simon.
Simon ?

Oui, c’est ça.
Vous avez un nom de famille ?
Oui.
Vous pouvez me le donner ?
Certainement. Simon Rochel.
Rochel ?
Oui.
On peut savoir quand vous avez vu monsieur Massaca pour la dernière fois ?
C’était hier, hier soir.
Vous habitez la même chambre ?
Oui.
Le policier costaud se retourne vers son collègue, demeuré silencieux depuis leur arrivée, qui s'avance et lui chuchote dans l'oreille.
Ça pose problème ? je demande. Au fait, il… vous cherchez Essa pour quelle raison ? J’aimerais bien savoir pourquoi on vient me déranger si tôt.

C’est pas de votre affaire. On a d'autre truc à vous demander, ça sera un peu long.
Bon, j’ai rien dit alors. Vous voulez du café ? J’en ai tout juste sortant de la machine. Vous voulez du bon café, messieurs ? Oui ? Entrez
Je leur souris et les policiers referment doucement la porte derrière eux. Dans le corridor, rien ne bouge. À moins que l’on entend peut-être un seul craquement, comme un pas sur le bois franc qui aurait été posé avec la plus grande, bien qu’insuffisante, discrétion.